Rencontre avec Laurie Reisberg, lauréate du prix Robert L. et Betty P. Cody
Laurie Reisberg, géochimiste spécialisée en géochimie isotopique au CRPG à Nancy a récemment été récompensée du prestigieux prix Robert L. et Betty P. Cody du Scripps Oceanographic. Pour l’occasion, nous sommes allés à sa rencontre, découvrir son parcours, ses travaux de recherche et ce que représente cette distinction pour elle…
Vous avez récemment été nommée lauréate du prix Robert L. et Betty P. Cody. Que représente ce prix ?
Depuis 1989, Le Prix Robert L. et Betty P. Cody du Scripps Oceanographic Institute (La Jolla, Californie) récompense tous les deux ans certains travaux scientifiques dans des domaines qui sont liés de près ou de loin à l'océanographie (comme les sciences du climat, la biologie ou encore mon domaine : les sciences de la terre).
Il porte le nom de ses fondateurs : Betty et son époux, Robert Cody, passionné d’océanographie et dont le grand-oncle était William Ritter, fondateur du Scripps Institut.
Pour moi, ce prix m'a, avant tout, permis de renouer des liens avec des chercheurs dans des domaines qui sont proches mais aussi parfois éloignés de mes propres champs d'expertise. C’est souvent cette rencontre de différentes disciplines qui permet la formulation de nouvelles idées !
Vos recherches actuelles portent sur la géochimie isotopique. Qu’est-ce que c’est ?
Mon expertise s’inscrit précisément dans le domaine des isotopes radiogéniques qui sont souvent utilisés pour la datation de roches et de gisements. Mais ils permettent aussi de tracer les sources des différents composants d'une roche ou d'un sédiment puisque les compositions isotopiques de ces sources changent de façon systématique au cours du temps : c’est ce qu’on appelle la croissance radiogénique).
La géochimie isotopique est utile pour répondre à des questions très diverses. Par exemple, j'ai eu l'occasion de travailler sur des sujets allant de la cosmochimie à l'érosion himalayenne en passant par la datation des gisements de l'or et de pétrole…
Actuellement, la plupart de mes travaux portent sur la géochimie et l'évolution du manteau terrestre, qui constitue deux tiers de la masse de la Terre. Récemment, avec une équipe de mon laboratoire et des collègues de l’Université de Montpellier et de l’Université d’Oslo1, nous avons menés une étude sur l'ophiolite d'Oman, un grand morceau de la croûte océanique et du manteau sous-jacent qui a été chevauché sur la péninsule Arabique il y a environ 95 millions d’années. Cette étude a fourni une nouvelle vision sur le mécanisme de cheminement des magmas, produits par la fusion du manteau, vers les dorsales où se forme la croûte océanique.
En ce moment, je suis engagée dans l'étude de roches volcaniques anciennes d’environs 3,5 Milliards d’années dans le craton de Singhbhum dans l’Est de l'Inde2. Ces roches volcaniques sont issues de la fusion de la matière provenant du manteau profond, et leur étude devrait nous permettre de mieux comprendre les premières étapes de l'évolution de la Terre.
Et après ? Quels sont vos projets futurs ?
Dans les années à venir, j'aimerais concentrer mes efforts sur l'étude de la lithosphère sous-continentale. D’une épaisseur de 100 à 250 kilomètres, la lithosphère est la partie rigide du manteau sous-jacente aux continents. La plupart du manteau est ductile, c'est-à-dire qu’il est solide mais suffisamment chaud pour se déformer lentement. C'est la « convection » (un lent retournement) de ce manteau ductile qui facilite le refroidissement de l'intérieur de la Terre et sert de moteur à la tectonique des plaques. En revanche, la lithosphère sous-continentale ne participe pas ou peu dans ce processus de convection puisqu’elle reste attachée à la croûte continentale sur-jacente pendant des centaines de millions, voire des milliards d'années. Ainsi, mieux comprendre l'origine et l'évolution de la lithosphère sous-continentale nous aidera à mieux comprendre la formation et l'Histoire des masses continentales.
Quel a été votre parcours ? Pourquoi vous êtes-vous tournée vers la recherche ?
Je me suis intéressée à la géologie depuis mon plus jeune âge. J'ai grandi dans les années soixante aux Etats-Unis, au moment où la théorie de la tectonique des plaques s'est développée et a révolutionné notre compréhension du fonctionnement de la Terre. Petite, je m’imaginais géologue et passais mon temps à regarder les roches lorsque je faisais de la randonnée dans de nombreux parcs nationaux des Etats-Unis avec ma famille. Tout cela fait partie du travail de géologue bien sûr, mais ce que je n'avais pas prévu c’est tout le temps que l’on passe aussi en salle de chimie !
Plus tard, j’ai fait ma licence à l’Université de Michigan, et ma thèse à Lamont-Doherty Earth Observatory (qui fait partie de l’Université de Columbia à New York). Après ma thèse, j'ai fait un post-doctorat à l'Institut de Physique du Globe de Paris.
Puis, après un retour de trois ans à Lamont-Doherty, j'ai passé un concours pour devenir chercheure CNRS au Centre de Recherches Pétrographiques et Géochimiques (CRPG) à Vandœuvre-lès-Nancy. J’y travaille maintenant depuis près de 30 ans en tant que géochimiste, spécialisée en géochimie isotopique. C'est-à-dire que j'utilise la distribution des éléments et leurs isotopes pour mieux comprendre comment fonctionne notre planète.
Avec tout cela, j'ai même fini par prendre goût aux moments passés en salle de chimie et en particulier à l'analyse par spectrométrie de masse puisque c’est à cette étape que l’on voit le résultat final de tout de nos efforts…