Visages de la recherche | Cyril Elouard, lauréat d'un financement ERC pour son projet QARNOT

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Cyril Elouard, titluaire d’une Chaire de Professeur Junior au Laboratoire de Physique et Chimie Théoriques, LPCT (CNRS/Université de Lorraine) et enseignant à la Faculté des Sciences et Technologies de l'Université de Lorraine vient d’obtenir une bourse ERC Starting Grant pour son projet de recherche QARNOT. Le projet QARNOT vise à utiliser la thermodynamique quantique pour mieux comprendre et contrôler les systèmes quantiques complexes. L'Université de Lorraine est allé à sa rencontre.

Présentez-nous votre projet QARNOT retenu pour un financement ERC ?

Le projet QARNOT s'intéresse à un domaine de la physique appelé thermodynamique quantique. Ce domaine vise à comprendre comment les systèmes quantiques (des objets microscopiques comme des atomes ou des particules) se comportent lorsqu'ils sont hors d'équilibre, en utilisant les principes de la thermodynamique – un autre champ de la physique qui est habituellement utilisé pour décrire des machines comme les moteurs ou les réfrigérateurs.

À première vue, thermodynamique et physique quantique semblent éloignées, car la thermodynamique s'occupe de systèmes grands et visibles, tandis que la physique quantique traite d’objets très petits. Cependant, des progrès récents ont montré que des concepts comme le travail, la chaleur et le deuxième principe de la thermodynamique peuvent également s'appliquer à des échelles microscopiques, où ils deviennent très utiles !

Ces idées ont d'abord été appliquées en biophysique pour comprendre les "moteurs moléculaires" que l’on trouve dans nos cellules, mais elles sont aussi pertinentes pour les technologies quantiques, qui nécessitent de manipuler des systèmes quantiques en dépit des perturbations de leur environnement. Grâce à des versions quantiques des lois de la thermodynamique, on peut maintenant décrire des "moteurs quantiques" qui utilisent les effets propres au monde quantique, comme la superposition (le fait qu'une particule peut être dans plusieurs états à la fois) ou la mesure (qui modifie l'état d'une particule).

Le but du projet QARNOT est de développer la thermodynamique quantique comme une sorte de boîte à outils pour mieux comprendre les dynamiques quantiques complexes. Pour cela, il faut surmonter plusieurs obstacles sur le plan théorique.

Un des défis est de comprendre comment les fluctuations d'énergie dues au principe d'incertitude de Heisenberg interagissent avec la dissipation (perte d'énergie sous forme de chaleur) à l'échelle quantique. Le projet QARNOT va développer de nouvelles méthodes pour calculer précisément les flux de chaleur et de travail dans ces régimes "profondément quantiques". Cela pourrait, par exemple, aider à mieux comprendre ce qui se passe lorsqu'on mesure un système quantique.

Un autre défi est de pouvoir exprimer des lois fondamentales pour des systèmes quantiques complexes sans avoir à résoudre leur dynamique complète, ce qui est souvent impossible. Pour cela, QARNOT va combiner des avancées récentes dans la définition du travail et de la chaleur échangés entre des systèmes quantiques avec des approches inspirées de la thermodynamique classique, qui se contente souvent de connaissances partielles du système.

Si QARNOT aboutit, cela permettra d'analyser les phénomènes quantiques en termes de consommation de ressources et de contraintes fondamentales, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives pour notre compréhension du monde quantique et de ses applications technologiques.

Quelle est la recette pour obtenir une ERC et comment s'y préparer ?

Il n’y en a certainement pas qu'une seule, mais voici quelques ingrédients qui, selon mon expérience, sont importants. Tout d'abord, il faut une idée scientifique pour viser un objectif potentiellement "révolutionnaire" (qui peut être très fondamental). Cet objectif doit être ambitieux et risqué -- l'atteindre dans les 5 ans n'est pas garanti ! -- mais la méthodologie proposée doit être suffisamment prometteuse pour assurer des avancées scientifiques le long du chemin. D'autre part, avoir démontré un profil de chercheur indépendant semble également très important. Enfin, être accompagné par son institution (Université de Lorraine et INP dans mon cas) est très utile, en particulier pour l'oral, car cela permet d'anticiper les questions récurrentes qui peuvent être déstabilisantes de prime abord, et garder l'esprit serein pour les imprévus ! Bien sûr, il y a beaucoup de fluctuations, même si le processus de sélection est très rigoureux (une dizaine de rapporteurs experts de la thématique écrivent un rapport sur le projet lors de la deuxième étape de sélection !). Il ne faut donc pas hésiter à candidater, et re-(re)-candidater, tout en mûrissant son projet sur plusieurs années! C'est l'occasion de se projeter dans ses recherches à plus long terme.

Que va vous permettre ce financement ERC ?

Ce financement va me permettre de mettre en place une équipe de recherche travaillant en synergie sur les différents aspects du projet. En tout, je pourrai recruter 5 chercheurs (doctorants et postdoctorants). Ils rejoindront notre équipe actuelle formée du Dragi Karevski, Yashovardhan Jha (Doctorant), Lorena Ballesteros Ferraz (postdoctorante) et moi-même. Ce financement nous permettra également de renforcer nos collaborations avec des équipes en France et à l’international, tel que le groupe d’Alexia Auffèves, au Majulab (Singapour), par des visites et des échanges, et d’organiser une conférence autour du sujet de QARNOT à Nancy.

A propos de l'ERC

Dispositif puissant et novateur pour promouvoir la recherche européenne, la bourse ERC permet à des scientifiques, reconnus dans leur domaine aux niveaux national et international, de mener des projets novateurs dans leur discipline et leur apporte une reconnaissance internationale d’envergure.