Visages de la Recherche | Gwénaël Massuyeau, directeur de l'IMB à Dijon
Le CNRS est allé à la rencontre de Gwénaël Massuyeau, récemment nommé nouveau directeur de l'Institut de Mathématiques de Bourgogne (CNRS/Université de Bourgogne).
Quel est votre parcours ?
J'ai soutenu ma thèse à l'Université de Nantes en 2002 sous la direction de Christian Blanchet, et je suis parti aussitôt pour quelques années post-doctorales : tout d'abord à l'Institut de Mathématiques de l'Académie Roumaine, puis, lauréat d'une bourse européenne « Marie Curie », au Département de Mathématiques de l'Université de Pise. Recruté en 2005 au CNRS, j'ai rejoint l'Institut de Recherche Mathématique Avancée à Strasbourg, qui comptait alors une équipe très active en topologie quantique, autour de Christian Kassel et Vladimir Turaev, et au sein duquel j'ai beaucoup appris.
C'est en 2017 que j'ai décidé de quitter le CNRS pour un emploi de professeur des universités, ce type de mobilités « CNRS vers universités » étant plutôt courant en mathématiques. J'ai ainsi rejoint l'Institut de Mathématiques de Bourgogne (IMB), dont j'ai été directeur-adjoint de 2020 à 2023, avant d'en prendre la direction cette année, succédant à Abderrahim Jourani.
Quel est votre domaine de recherche ?
Mes recherches relèvent de la topologie, discipline à l'interface de l'algèbre et de la géométrie (même si mes schémas de pensée penchent clairement plus du côté de l'algèbre !). Plus précisément, je m'intéresse à la topologie des espaces, qu'on appelle « variétés » en mathématiques, et plutôt en dimension trois. Cela inclut notamment l'étude des nœuds : si vous prenez par exemple un nœud de « huit », formé par une grosse corde fermée, alors « l'extérieur » de ce nœud (i.e. tout ce qui se trouve dans l'espace en dehors de cette corde très épaisse) constitue une variété de dimension trois. Ainsi, même si mon domaine de recherche s'inscrit dans le vaste champ des mathématiques dites « fondamentales », j'ai la chance de pouvoir le transmettre assez facilement au grand public en faisant des dessins de nœuds ou de tresses, ou en sortant de ma poche quelques morceaux de ficelle.
De manière plus précise, je travaille principalement sur la théorie des « invariants de type fini », qui est l'incarnation mathématique de l'approche perturbative des TQFT (pour « théories quantiques des champs topologiques ») en physique théorique. Il s'agit de construire, d'étudier et de classifier des invariants topologiques des variétés de dimension trois qui se comportent agréablement (i.e. de façon « polynomiale ») lorsqu'on pratique sur ces espaces un certain type de modifications (qu'on appelle « chirurgies » en topologie).
Quels sont vos projets au sein du laboratoire ?
L'IMB, sous la double tutelle de l'Université de Bourgogne et du CNRS, est un laboratoire généraliste de mathématiques, où coexistent la recherche fondamentale et applicative. Pour ce nouveau contrat qui débute, nous souhaitons renforcer ce positionnement de l'IMB suivant le triptyque « Fondements – Interactions – Applications », en veillant à l'équilibre subtil et à la bonne articulation entre ces trois volets :
- Fondements : L'IMB a pour ambition de développer certains savoirs fondamentaux en mathématiques qui, en se renouvelant continuellement, se sont durablement inscrits dans le paysage de la recherche contemporaine, et constituent les marqueurs d'une certaine « tradition » mathématique à Dijon. Il y a notamment la géométrie au sens large (avec les systèmes dynamiques, la géométrie algébrique, la théorie géométrique des groupes ou la topologie de petite dimension) et la physique mathématique (systèmes intégrables, EDP et analyse spectrale, relativité générale, théorie des champs et algèbre quantique). S'appuyant sur ses réseaux de collaborations déjà en place aux échelles nationale et internationale, l'IMB œuvra dans ces domaines qui ont fait la renommée des mathématiques dijonnaises, tout en identifiant les sujets émergents et transverses, comme il a été fait récemment lors du recrutement d'une chaire de « professeur junior » au carrefour de la théorie quantique des champs et de la topologie.
- Interactions : Les collaborations de l'IMB avec les laboratoires de physique sur le site Bourgogne-Franche-Comté (notamment dans le cadre de l'EUR EIPHI), et bien au-delà des frontières de la région, sont très nombreuses et portent sur des sujets aussi variés que la mécanique quantique, la théorie des cordes, ou l'astrophysique. Ces nombreuses collaborations (qui revêtent diverses formes dans les trois équipes de l'unité) et l'existence d'un master « Mathématiques pour la physique » à Dijon révèlent un positionnement original de notre laboratoire vis-à-vis de la discipline sœur que constituent les sciences physiques. Il conviendra pour les prochaines années de promouvoir ce modèle original qu'on ne rencontre, à ce niveau d'échanges entre mathématicien.ne.s et physicien.ne.s, que dans une poignée d'universités françaises.
- Applications : Les demandes émanant du monde socio-économique en matière d'applications et de valorisation des mathématiques sont fort nombreuses, notamment dans les domaines de la santé, de l'écologie, de l'énergie et de l'ingénierie. Pour répondre à ces diverses sollicitations, l'IMB saura mettre en œuvre ses compétences en analyse statistique des données, en modélisation probabiliste, en optimisation et contrôle des procédures, et en calcul scientifique. L'usage croissant de l'IA dans de nombreux domaines posent aussi de nouveaux défis scientifiques, auxquels nous (mathématiciennes et mathématiciens) devront de plus en plus nous confronter afin de mieux répondre aux besoins de nos partenaires académiques et socio-économiques.
Pour mener à bien son projet scientifique, l'IMB peut compter sur la performance de ses trois équipes de recherche et sur le très grand professionnalisme de son service d'appui à la recherche. Le Conseil de Laboratoire, qui vient d'être renouvelé, jouera un rôle clef dans la réalisation de ce projet, en assumant les arbitrages nécessaires et en s'attachant les services de chargé.e.s de missions dont les rôles seront affirmés. Mais un projet scientifique ne peut exister sans un projet humain : avec l'aide précieuse d'Anissa Bellaassali, responsable administrative et financière de l'IMB, et celle de Daniele Faenzi, nouveau directeur adjoint de l'IMB, je veillerai à la bonne qualité de notre environnement de travail, qui a beaucoup évolué ces dernières années. Les chartes qui ont été récemment adoptées à l'IMB (en matière d'éco-responsabilité ou d'égalité/parité) donnent quelques jalons, qu'il nous faudra probablement compléter.
Visages de la recherche
Les Visages de la recherche sont des témoignages authentiques de celles et ceux qui façonnent la science au quotidien. À travers des rencontres avec des chercheuses, des chercheurs, ainsi que des personnels administratifs et techniques, Visages de la recherche met en lumière la diversité des métiers au sein du CNRS.
En partageant leurs parcours, leurs métiers, et leur vision de l'avenir, ces femmes et hommes révèlent des domaines scientifiques parfois méconnus et l'impact de leurs travaux sur les grands enjeux de notre société. Au-delà de leurs contributions scientifiques, ils incarnent l'engagement de la recherche publique, reflet de la mission du CNRS au service d’un progrès durable qui bénéficie à toute la société.