Visages de la Recherche | Alain Celzard, membre de l'Académie Européenne des Sciences
Le CNRS est allé à la rencontre d'Alain Celzard, professeur à l'Université de Lorraine, chercheur à l'Institut Jean Lamour (CNRS/Université de Lorraine) et récemment élu membre à l'Académie Européenne des Sciences.
Vous êtes professeur à l’Université de Lorraine avec une carrière remarquable. Pouvez-vous nous parler de votre parcours et de ce qui vous a conduit à choisir cette voie scientifique ?
Je crois avoir été un lycéen assez peu remarquable, ne sachant pas vraiment vers quoi m’orienter. Seules les sciences trouvaient un peu grâce à mes yeux, sans pouvoir être plus précis. La Faculté des Sciences de Nancy m’a ouvert à des savoirs nouveaux, élargissant considérablement mon horizon et me confortant dans cette voie, mais je ne savais toujours pas choisir entre physique et chimie, mes grandes favorites. Plus tard, ça a été le coup de cœur pour la chimie du solide, et enfin pour la science des matériaux, une vraie révélation ! Les matériaux combinent en effet la chimie pour les préparer, la physique pour en évaluer les propriétés, l’ingénierie pour les intégrer dans des systèmes, et la modélisation pour les optimiser. Ça a été le déclic ! A partir de là, tout est allé très vite.
Sur quels sujets portent vos recherches actuelles ? Et quelles sont vos activités et responsabilités au laboratoire ?
Je m’intéresse aux matériaux poreux en général. La porosité, associée à une composition chimique adaptée, est un formidable levier pour moduler les propriétés recherchées et les appliquer, une fois optimisées, à un grand nombre de domaines très différents : purification de l’eau et de l’air, détection, séparation et capture des gaz, stockage et compression de l’hydrogène, catalyse, électrocatalyse et photocatalyse, stockage et conversion de l’énergie électrochimique et thermique, isolation thermique ou acoustique, manipulation des ondes électromagnétiques … Je suis actif sur tous ces sujets, mobilisables dès lors que des financements pour conduire les travaux correspondants sont acquis.
Après avoir fondé puis dirigé (2012-2017) mon équipe de recherche sur le campus d’Epinal, et ensuite pris la direction (2017-2022) de l’un des 4 départements scientifiques de l’IJL, le plus grand laboratoire de l’Institut de Chimie du CNRS, j’ai été nommé en 2022 membre senior de l’Institut Universitaire de France. Le calendrier était parfait, puisque je terminais mon mandat pour démarrer de nouvelles activités ! Je n’ai donc plus de responsabilités locales, à part la gestion des projets que je porte, mais je reste au niveau national membre du CNU et du Bureau de l’IUF, et expert dans diverses instances.
Votre parcours mêle des recherches fondamentales et appliquées sur des matériaux bio-sourcés et des composites innovants. Quelles sont, selon vous, les avancées les plus prometteuses dans ce domaine aujourd’hui ?
En effet, il y a là deux axes que je considère comme extrêmement importants : d’une part, le défi de pouvoir remplacer les matériaux d’origine pétrochimique par des biosourcés, et ce, sans en compromettre les performances, et d’autre part, la mise au point de matériaux dotés de fonctionnalités entièrement nouvelles, souvent abusivement qualifiés de « matériaux intelligents » au motif qu’ils présentent des propriétés qui changent selon l’environnement auquel ils sont soumis.
Dans ce dernier cas, ce tour de force passe par le développement de composites très particuliers, notamment à base d’inclusions fluides stimuli-répondantes, à la base de mon projet actuel à l’IUF. L’idée est ici, grâce à la mobilité d’une partie du matériau induite par un stimulus extérieur, de faire émerger des propriétés complètement insolites (effets magnétiques, optiques, mécaniques, thermiques, inertiels, ...), dans des applications qui, pour certaines, restent à inventer !
Mais le premier axe, la valorisation de la biomasse et les matériaux biosourcés pour l’énergie et l’environnement, continue à m’occuper très largement, et il faudrait sans doute de nombreuses vies pour épuiser un tel sujet. Les avancées majeures en la matière sont qu’à partir d’extraits végétaux, il est possible de faire des matériaux aussi variés que des tamis moléculaires jusqu’à des cristaux photoniques pour des applications microondes, en passant par des électrocatalyseurs sans platine pour piles à combustible à hydrogène, entre nombreux autres. L’urgence climatique et les tensions sur les ressources dites critiques ne peuvent que plaider en faveur du développement de tels matériaux, et un précurseur de choix pour les obtenir est naturellement le bois, qui continue à nous étonner par son immense potentiel en termes de chimie verte, encore largement sous-exploité.
Vous avez récemment été élu membre de l’Académie Européenne des Sciences (EurASc) dans le domaine des Sciences des Matériaux, qu’est-ce que cette reconnaissance représente pour vous et pour la communauté scientifique ?
A titre personnel, c’est une nouvelle reconnaissance, toujours très importante pour encourager un chercheur. La recherche est un métier difficile en ce que l’échec est une part très importante du quotidien : rien ne marche jamais du premier coup ! Il faut donc revenir chaque matin, réessayer, recommencer tant et plus, affiner, jusqu’à ce qu’enfin, les résultats soient – peut-être – au rendez-vous. Le titre de Fellow de l’EurASc comporte la mention « elected for an outstanding contribution to science and technology », et il me plaît donc de croire que la communauté internationale a jugé mes travaux suffisamment importants. Si j’en suis moi-même intimement convaincu, il est essentiel de savoir que d’autres, notamment les sommités du domaine, le pensent aussi.
A titre collectif, car la recherche est par essence un travail d’équipe dans lequel chaque contribution individuelle compte, c’est aussi un éclairage nouveau sur l’équipe, le campus, le laboratoire, l’Université de Lorraine et le CNRS. Je suis toujours fier (et un peu amusé aussi) lorsque des collègues étrangers ont entendu parler du campus d’Epinal et peuvent le placer sur une carte ! Ce type de reconnaissance permet de faire parler de nos sujets de recherche, de montrer toute leur pertinence dans le contexte mondial et, in fine, de les faire vivre et avancer. Cela aide à créer de nouveaux partenariats internationaux, développer de nouvelles idées et monter de nouveaux projets collaboratifs en attirant de nouveaux talents, voire susciter des vocations, avec un effet d’accélération considérable sur les travaux en cours.
Quel conseil donneriez-vous aux jeunes chercheurs qui veulent suivre une carrière comme la vôtre ?
D’une manière générale, et ça ne s’applique pas qu’à la recherche, je recommande aux jeunes de bien choisir la voie qui leur plaît le plus, et dans laquelle ils pourront véritablement s’épanouir. Ainsi, en exerçant un métier qui les motive et les passionne, ils n'auront plus jamais l'impression de travailler ! C’est un avantage énorme, car pour y parvenir, un travail acharné et de tous les instants est nécessaire. Mais imaginez pouvoir le faire sans effort ! Les opportunités se présentent alors naturellement à vous, car vous êtes reconnu pour vos compétences et votre de force de travail. Il en est de même des bonnes idées : elles viennent surtout avec beaucoup de transpiration, assez peu d’inspiration !