Limiter le développement des espèces invasives sur les talus ferroviaires avec des espèces autochtones
Au printemps s’est tenu à Reims le forum annuel du programme Reeves (Recherche sur les Espèces Exotiques Végétales EnvahissanteS), dont le programme vise à limiter le développement de plantes envahissantes le long des talus ferroviaires en utilisant des plantes locales dites restauratrices. Reeves est porté depuis 2019 par SNCF Réseau. Il associe plusieurs financeurs et partenaires autour de recherches en laboratoire et expérimentations de terrain. Un programme de recherche en bonne voie...
L’idée de ce programme, crucial pour SNCF Réseau, est de développer des méthodes écologiques permettant de contenir le développement des espèces invasives à l’aide de plantes locales. Il rassemble plusieurs partenaires de la recherche académique, dont les laboratoires LAE (Unité mixte de recherche UL-INRAE), LSE (UMR UL-INRAE) et le LIEC (UMR UL-CNRS) pour la Région Grand Est, où seize stations d’expérimentations ont d’ailleurs été implantées par SNCF Réseau, principalement en Champagne et Ardennes.
La croissance des espèces invasives aux abords des voies pose des problèmes à la fois de maintenance et de sécurité pour la SNCF, qui dans sa lutte contre le développement de ces plantes, cherche à ne plus utiliser de produits phytosanitaires. D’une part, la SNCF fait face à une impasse technique d’autant plus que le problème est amplifié du fait du potentiel de croissance et développement parfois phénoménal des espèces invasives (exemple de la renouée du Japon). D’autre part, la lutte contre la propagation des espèces invasives est un enjeu majeur pour la préservation de la biodiversité. Le consortium qui s’est structuré autour du programme Reeves fait le pari que la restauration écologique pourrait permettre d’apporter des solutions concrètes à la SNCF peu impactantes pour la biodiversité.
Trois années d’observations, de mesures et d’analyses ont permis de mettre à jour certains mécanismes de la restauration écologique et d’envisager des premières pistes de gestion, à la lumière de résultats plutôt prometteurs.
Des expérimentations de terrain associés à la recherche fondamentale
Deux niveaux d’étude ont été associés dans le projet : la recherche de méthodologies pratiques expérimentales et une recherche fondamentale visant à comprendre les Zone d'essai dans un terrain envahi par des Renouées du Japon - Photo Valentin Morinmécanismes à l’œuvre, avec pour objectif de concevoir une méthode écologique de gestion des plantes invasives.
Trois espèces envahissantes sont ciblées pour la région Grand Est : le robinier faux-acacia, l’ailante et la renouée du japon. Ces espèces ont un potentiel de croissance élevé, elles déstabilisent l’écosystème local. Elles s’adaptent à de nombreux sols et climats et elles n’ont pas d’antagonistes (prédateurs ou maladies) localement.
Différentes méthodes sont utilisées traditionnellement pour essayer de les contenir, comme la taille ou la fauche, mais avec des succès très mitigés et des coûts importants s’accumulant chaque année.
Sur le terrain, l’idée est d’élaborer une méthode de gestion pertinente en replantant les zones envahies. Après avoir coupé les espèces invasives, l’implantation d’espèces locales dites « de restauration » a pour objectif de freiner leur installation et leur développement sur plusieurs années. Une large communauté de plantes de restauration a été utilisée en région Grand Est, comme la viorne aubier, le cornouiller, l’aubépine (une dizaine d’espèces)...
Les premiers résultats montrent en présence de ces plantes de restauration, des tendances à la baisse de croissance des espèces invasives, notamment pour la renouée, ce qui laisse espérer un meilleur contrôle. Certaines des espèces utilisées dans la communauté de plantes restauratrices s’implantent et survivent très bien dans les conditions difficiles des talus ferroviaires. Cependant, il est trop tôt pour conclure : le suivi doit continuer sur le terrain et d’autres tests / essais doivent être conduits.
La compétition et l’allélopathie entre espèces en jeu
La recherche fondamentale a permis d’étudier les processus mis en jeu, comme l’allélopathie ou la mycorhization (que ce soit par les plantes de restauration ou les envahissantes), processus qu’il serait difficile d’évaluer directement in situ.
Une des expériences menée au LAE (Laboratoire Agronomie et Environnement) a consisté à mettre dans des pots un mélange de plantes de restauration avec des rhizomes de renouée. Le mélange comprenait des Graminées prairiales, une variété de consoude pérenne et couvrante ainsi que des arbustes adaptés à ces types de milieux.
Les résultats montrent que l’épine-vinette réduit de 40% la sortie de tige de renouée par compétition et allélopathie. Par ailleurs, la biomasse de la renouée est réduite de 50 à 75 % par la présence des plantes compagnes : il s’agit principalement d’un effet « compétition », car il est maintenu en présence de charbon actif (qui piège les substances allélochimiques). Cet effet « compétition » diminue également la surface foliaire (et donc la capacité photosynthétique). On observe également une densité réduite de tiges de renouée au 2 tiers en présence des plantes restauratrices.
Ainsi, l’ensemble des performances de la renouée en fonction des plantes restauratrices sont réduites de 30 à 50 %. En cela, au-delà des modèles de laboratoire, on peut dire que les poacées, la consoude, le sureau semblent de bons candidats pour la restauration écologique des talus ferroviaires : ce sont par ailleurs des plantes faciles à installer.
Pour le robinier faux-acacia, les essais sont moins avancés mais le processus de germination a déjà été étudié. En présence d’un macérat d’épine-vinette, de sureau et de consoude, le potentiel de germination du robinier est affecté. Le mélange des différents macérats apparaît le plus efficace. On cherche désormais à cibler quelles sont les molécules responsables de cet effet. Une étape suivante sera de travailler sur de jeunes plants de robinier faux acacia.
Booster les plantes restauratrices ?
Les différentes symbioses naturelles avec des microorganismes ou des champignons mycorhiziens peuvent améliorer la croissance et la résistance des plantes aux stress.
L’effet potentiellement négatif de la renouée (via des molécules issues de la plante) a donc été testé sur les communautés microbiennes et la mycorhization (association à bénéfice réciproque entre un champignon et les racines d’une plante). En effet, les conditions de talus ferroviaires ne sont pas idéales pour la croissance des plantes et il pourrait être intéressant d’inoculer les plantes restauratrices candidates en vue d’une meilleure implantation.
Des tests ont été effectués avec la luzerne, plante qui établit des associations symbiotiques à la fois avec des bactéries fixatrices d’azote et des champignons mycorhiziens. Les résultats montrent que la germination des spores de champignon est inhibée par un extrait de renouée, mais qu’il n’affecte pas la nodulation (formation d’expansions tissulaires au niveau des racines dans lesquelles les microorganismes fixateurs d’azote se logent). L’effet inhibiteur de ce même extrait s’observe également lors de la mise en place de mycorhizes. En revanche, cet effet est moins marqué sur les symbioses déjà établies.
Ces premiers résultats suggèrent de s’assurer du bon état de mycorhization des plantes de restauration avant leur implantation sur le terrain.
Mieux évaluer le risque de dispersion par les lots de terre de remblais
En parallèle, les sols de talus ferroviaires et de friches ferroviaires ont été caractérisés selon les protocoles pédologiques, dans le but de connaître leurs propriétés, en particulier en terme de fertilité. Cette connaissance du fonctionnement de ces sols permettra ainsi de disposer d’un diagnostic de la qualité des sites. Ils présentent des teneurs en divers contaminants organiques et métalliques assez élevées et des propriétés physico-chimiques proches des sols très anthropisés. Un premier travail a été de rechercher des indicateurs de présence des plantes envahissantes, permettant d’évaluer le risque de leur dispersion et d’évaluer la qualité de terre utilisée pour les remblais. Les lots de terre utilisés ont en effet des provenances diverses et il peut être important d’en éliminer certains. Une méthodologie a été construite pour aider à la décision de l’acceptation ou non de ces lots. D’un point de vue fondamental, les résultats acquis ont permis d’une part de replacer ces sols de talus ferroviaires au sein de gradients de sols anthropisés et donc de prédire leur évolution, et d’autre part d’obtenir des informations sur la localisation de substances potentiellement allélochimiques au sein des rhizomes de renouée du Japon dans une perspective de compréhension des mécanismes de compétition entre espéces.
Une question importante en parallèle serait d’essayer de comprendre si les contaminations peuvent jouer un rôle en faveur des invasives. Cela pourra être évalué sur l’ancien site ferroviaire du Fonteno au sein de l’agglomération nancéenne, pour lequel des corrélations entre progression de la renouée et teneurs en contaminants seront établies.
Au vu de ces résultats, de nouvelles pistes de recherche et d’expérimentations s’ouvrent : investiguer davantage la nature des composés allélochimiques à l’œuvre, étudier l’effet de polluants (courants dans ces milieux), mieux comprendre à quel moment et comment apporter les inoculum pour les plantes restauratrices, optimiser les associations de plantes restauratrices, continuer à mettre au point la-les méthodes de gestion… Cette première étape de 3 ans du projet Reeves a tenu ses promesses et le projet devrait entamer dès l’été une deuxième phase.
(*) Allélopathie : phénomène biologique par lequel un organisme produit et libère dans son environnement une ou plusieurs substances dites allélochimiques qui influencent positivement ou négativement la germination, la croissance, la survie et la reproduction d'autres organismes.
Site du projet : https://www.sncf-reseau.com/fr/reseau/grand-est/programme-reeves/presentation-0
Contacts :
Alice Michelot-Antalik, UMR LAE (UL-INRAE), alice.michelot@univ-lorraine.fr
Thierry Beguiristain, UMR LIEC (UL-CNRS), thierry.beguiristain@univ-lorraine.fr
Catherine Sirguey, UMR LSE (UL-INRAE), Catherine.sirguey@univ-lorraine.fr
Porteur du projet : Valentin MORIN (SNCF RESEAU) : valentin.morin@reseau.sncf.fr
Rédacteur : Gérard Simonin, UMR LSE
Les partenaires pour la première phase du projet : SNCF Réseau (chef de projet), Région Grand Est et Région Sud, Université de Lorraine (UMR LAE, UMR LSE, UMR LIEC).