Empêcher les réactions chimiques avec de la lumière

Résultats scientifiques Physique

Les gaz quantiques d'atomes ultra-froids, à la température très inférieure au millionième de Kelvin, promettent des applications révolutionnaires pour les technologies quantiques. Au contraire des atomes, certaines molécules présentent des propriétés électriques qui peuvent être exploitées dans ce contexte. Mais l'expérience montre que des réactions chimiques inattendues prennent place entre les molécules, malgré leur très basse température.
Une collaboration entre physiciens théoriciens du Laboratoire Aimé Cotton (Orsay, FRE 2038, CNRS, Université Paris-Saclay), du Laboratoire Interdisciplinaire Carnot de Bourgogne (Dijon, UMR 6303, CNRS, Université Bourgogne Franche Comté), et l'Institut de Recherche Nucléaire ATOMKI (Debrecen, Hongrie), propose un protocole utilisant un faisceau laser pour inhiber les réactions chimiques indésirables qui déstabilisent les échantillons moléculaires ultra-froids.
Ce résultat ouvre de nouvelles perspectives expérimentales pour atteindre le régime de dégénérescence quantique avec un gaz moléculaire, mais aussi pour valider l'utilisation de molécules pour des dispositifs de simulation quantique.

Les gaz ultra-froids, à des températures inférieures au microkelvin, possèdent des propriétés quantiques exacerbées. Ce sont des objets d’étude de choix pour révéler les secrets les plus intrigants de la matière quantique, et des candidats prometteurs pour de nombreuses applications en information ou en simulation quantiques. Les recherches se sont longtemps focalisées sur des gaz composés d’atomes, mais depuis plus d’une décennie, l’engouement se porte aussi sur les gaz composés de molécules. Par comparaison aux atomes, les molécules possèdent des degrés de liberté supplémentaires, la vibration interne et la rotation, ainsi que des propriétés électriques et magnétiques intrinsèques qui offrent de nombreuses possibilités de manipulation et de contrôle par des champs électromagnétiques. Malgré une plus grande complexité des expériences générée par cette richesse, plusieurs équipes internationales ont observé en laboratoire des gaz ultra-froids composés de molécules diatomiques stables. Mais ces succès majeurs ont révélé une surprise de taille : la durée de vie de ces gaz se limite à une fraction de seconde, en raison de réactions chimiques indésirables, dont la nature exacte reste encore à clarifier.

Dans un récent article publié dans Physical Review Letters, des physiciens théoriciens ont proposé un nouveau protocole permettant d’augmenter la stabilité de ces gaz. A l'aide d'un faisceau laser de fréquence et d'intensité judicieusement choisies, il est possible d'éviter que deux molécules ne s'approchent suffisamment l'une de l'autre, la lumière constituant une sorte d’écran rendant ces réactions chimiques impossibles. Cette lumière n’est pas absorbée par les molécules, ce qui limite considérablement leur fluorescence, néfaste pour l’écrantage.

Dans ce travail théorique, les physiciens ont d'abord calculé l'énergie d'interaction entre deux molécules, en présence d'un faisceau laser dont la fréquence est proche d'une transition moléculaire. Une fréquence laser légèrement supérieure à la fréquence de transition permet de favoriser une interaction répulsive entre molécules : un écrantage par la lumière. La constante de vitesse caractérisant la réaction de destruction des molécules a ensuite été calculée en résolvant numériquement l'équation de Schrödinger, qui décrit l'évolution des systèmes quantiques. L’ampleur de cette répulsion dépend fortement de la fréquence et de l'intensité du laser, dont les chercheurs ont déterminé les valeurs minimisant la constante de vitesse, et applicables dans des conditions expérimentales réalistes.

Ce modèle prédit une augmentation par un facteur 1000 de la stabilité des échantillons moléculaires qui deviennent ainsi exploitables pour de futures expériences, comme l’obtention de condensats de Bose Einstein de molécules.

Contact

Maxence Lepers
Chargé de recherche CNRS - Laboratoire Interdisciplinaire Carnot de Bourgogne (ICB)